Développer et améliorer ses performances en communauté : part de soi - part des autres
 

La capacité à savoir profiter de son milieu de travail comme opportunité d’apprentissage et de développement de nouvelles compétences constitue un point important dans la construction d’une carrière. On notera que cette capacité s’acquiert non seulement par la formation mais également à travers les échanges informels, les constructions collaboratives de projet, la participation aux pratiques d’une communauté de travail. Ce mode de développement professionnel participatif constitue un enjeu important dans le monde professionnel d’aujourd’hui où il est, de plus en plus, fait exigence aux individus ainsi qu’aux organisations de travailler en réseau : mise en commun et circulation d’informations, de ressources, de professionnels et de leurs compétences(Le Boterf, 2018). Lave (1991) et Wenger (1998) utilisent le concept de communauté de pratique pour décrire la manière dont les individus participent et s’engagent aux activités de leur entreprise, améliorent leurs compétences, construisent des normes, des règles, de nouvelles pratiques et une identité en lien avec elle (LAVE, 1991 ; Wenger, 1998). Les auteurs considèrent alors que la construction de pratiques au sein d’une communauté représente un processus à travers lequel les individus arrivent à briser l’isolement professionnel : chaque membre bénéficiant des savoirs du groupe avec lequel il peut réfléchir, collaborer, partager et construire de nouveaux savoirs (Psyché et Tremblay, 2011).

Cette approche théorique, quoi qu’ancien, est de nos jours très valorisée au sein des organisations, des groupes ou associations qui cherchent à renforcer leur efficacité collective, élargir leur réseau et améliorer la qualité de leur impact social (Le Boterf, 2018). Suivant cette pensée, le directeur du FACLAB de l’Université de Genève, monsieur David Ott, le Dr. Laurent Moccozet (Maitre d’enseignement et de recherche au CUI) et la Dre Valérie Payen Jean Baptiste (Chercheuse Postdoctorante à TECFA-UNIGE) avons mis en route, en janvier 2023, une résidence temporaire de recherche au sein du FACLAB dans le but de développer différentes communautés de pratiques qui devraient, à leur tour, contribuer à définir le dynamisme de vie au FACAB et rendre visible sa capacité à servir la cité. La complexité de ce projet relève du fait qu’il est très difficile de mettre en place une communauté de pratique à partir d’un mandat extérieur. Selon les auteurs préceptes de ce concept, les communautés de pratiques se construisent de manière libre et spontanée à partir de l’adhésion volontaire de groupes d’individus à un projet spécifique qu’ils définissent, conçoivent et développent selon leurs intérêts ou motivation. Aussi, la réalisation du projet de résidence impliquait-il une rupture avec cette perception traditionnelle du mode de fonctionnement des communautés de pratique pour la concevoir selon une approche intentionnelle et directive. Sur la base de cette dernière considération, nous avons mené une activité d’exploration au sein du FACALAB afin d’identifier les profils, les activités, les intérêts communs des différents membres du milieu pour ensuite proposer de les converger vers la conception, le développement et l'implémentation d'un projet unique où chacun apporterait son expertise.

La communauté

Le FACLAB de l’Université de Genève, est un espace ouvert dédié à l’exploration, la conception et la fabrication du tangible comme de l’intangible (Morin et Moccozet, 2021). La désignation de l’espaceen tant que FACLAB trouve son origine dans la démarche du laboratoire d’innovation de services d’intégrer dans le milieu académique un espace valorisant la collaboration, l'ouverture, le travail interdisciplinaire, le prototypage rapide, les essais et les erreurs …ceci basé sur l’approche du Design Thinking. Cette idée d’intégration d’un FABLAB dans un milieu académique, d’où la désignation de FACLAB, représente en soi une hybridation qui peut être évaluée par sa capacité à évoluer « from a potential to an actual disruption » du système académique comme par exemple en donnant lieu à e nouvelles manière d’apprendre et de faire de la recherche d’émerger ((Morin & Moccozet, 2021). Ce FACLAB, étant un espace de création et d’innovation, existant depuis déjà quatre années, on y retrouve des pratiques communautaires de fabrication, de maintenance, d’organisation et de gestion de l’espace entre les acteurs ou groupes d’acteurs fréquentant le milieu. Toutefois, si le FACLAB comprend une large communauté d'acteurs, le travail n'est pourtant pas organisé autour de la réalisation de projets collectifs. L'espace regroupe en effet plusieurs communautés évoluant selon des intérêts et des motivations différentes. Ainsi, il y a la communauté des étudiants du CUI que l’on retrouve assez régulièrement dans l’espace de cafétéria nommé CAFLAB ; il y a la communauté des résidents qui regroupe divers chercheurs ou entrepreneurs travaillant sur des projets différents; il y a la communauté des volontaires qui s’occupe de faire découvrir l’espace, ses machines et ses formations aux visiteurs ; il y a la communauté des électro-faclab qui regroupe un certain nombre d’étudiants, de professionnels partageant un intérêt commun pour l’électronique et qui travaillent ensemble en partageant leurs savoirs et leurs compétences ; il y a aussi la communauté des fabriquant de l’intangible dont la majorité des membres ne se connaissent pas et qui représente les acteurs utilisant assez régulièrement l’espace de formation pour organiser ou présenter des ateliers, conférences ou séminaires à un public extérieur au FACLAB. Tous ces acteurs ont en commun le fait d’être membres du FACLAB et, par leurs interactions, pratiques, modes d’organisation ils structurent et organisent l’espace en lui conférant une certaine identité.

Démarches méthodologiques

Cette phase d’exploration conduite avec le directeur du FACLAB, monsieur David Ott, le responsable académique du projet, le Dr. Laurent Moccozet et la porteuse externe du projet, la Dre Valérie Payen Jean Baptiste a permis d’orienter le choix de la méthode de création et d’étude des communautés de pratiques au FACLAB. Nous nous nous sommes appuyés sur l’exploitation de deux concepts clés de la théorie des communautés de pratiques afin de guider notre démarche : la participation et la réification. La participation représente le moyen à partir duquel les acteurs d’une communauté construisent leurs pratiques. Elle implique un investissement et un engagement actif des acteurs aux activités professionnelles et sociales ceci en vue de maintenir le dynamisme, le partage des savoirs, l'organisation des pratiques au sein de la communauté. La réification, de son coté, renvoie aux actions collectives : les modes de communications, les responsabilités, la construction des répertoires, la création de ressources etc. Ce processus se réalise à travers la négociation et permet aux acteurs de construire le sens de leurs pratiques de les formaliser afin de les expliciter et de les partager (Payen Jean Baptiste, 2022 ; Psyché et Tremblay, 2011; Wenger, 1998, 2009).
L’instrumentation de ces deux concepts nous a permis d’adopter une démarche qui consistait à créer des « hub » ou ateliers thématiques devant amener les acteurs des différentes communautés à réfléchir et échanger sur leurs pratiques actuelles, leur sens et leur potentiel, en vue de les faire émerger comme étant leur identité commune. De par ce procédé, les acteurs ont la possibilité d’exprimer leurs intérêts et motivations à rejoindre la communauté ainsi que les compétences que chacun a ou voudrait apporter à la communauté à laquelle ils participent. D’un autre côté, nous avons également proposé aux communautés de travailler sur la construction de projets communs tel que l’élaboration d’un annuaire, d’un répertoire de compétence, où d’une présentation à unejournée portes ouvertes du FACLAB. Cette phase de construction représente alors un point d’ancrage pour l’observation des modes d’organisation des communautés pour le partage et le développement de leur performance collective. La combinaison de ces deux approches souligne les rôles mutuels de l'individu et de la collectivité dans le processus de développement d’une communauté et plus particulièrement les emprunts et empreintes que l’individu et le groupe réalisent dans ce processus.

La pratique de communauté au FACLAB de l’UNIGE

Deux rencontres thématiques de démarrage ont eu lieu le mercredi 26 avril avec, d’une part les acteurs évoluant dans la fabrication du tangible, désignés sous le nom de résidents, et de l’autre ceux qui font du “design thinking” ou encore de la co-construction de savoirs désignés sous le nom de “fabricants ou bricoleurs de l’intangible”.

Rencontre avec les résidents
Rencontre avec les résidents
Avec le groupe de résidents, il a été discuté et identifié un ensemble d’actions et de stratégies pour constituer une communauté s’identifiant au concept de l’Innovation sociale. En effet, la majorité des résidents du FACLAB sont des concepteurs et des entrepreneurs porteurs de projets ayant pour vision d’apporter une solution à un besoin social identifié.

Rencontre avec les Fabricants de l'intangible

Avec le second groupe, les fabricants de l’intangible, il a été émis des réflexions et des interrogations importantes sur la manière de constituer une communauté de pratiques. En tant que groupe, nous avons alors procédé à une exploration des pratiques de travail collaboratif existantes et avons partagé nos expériences, intérêts et motivations à poursuivre des “Faclab conversations” pour construire une nouvelle communauté.

Ces deux rencontres qui se sont déroulées sur une durée de 2heures chacune, ont mis en exergue les phases d’apprentissage, de tissage social, de connexions, de perturbation et de négociations qui sont importantes dans les premières heures de construction d’une communauté de pratiques. Ces phases sont diverses et varient en importance, d’une communauté à l’autre.

Ce projet de résidence visant à développer des communautés de pratique au sein du FACLAB de l'Université de Genève représente donc une source importante pour l’observation et l’étude d’un modèle de construction et d’amélioration des compétences en communauté. Les communautés de pratique sont, en effet, un outil précieux pour le développement professionnel participatif, la construction et le partage de compétences, et la création de nouveaux savoirs en collaboration. Bien que le cycle de vie des communautés de pratique suive généralement un processus informel et spontanée, cette initiative propose d’expérimenter une approche intentionnelle dans le butd’examiner la genèse des processus de constructions de communautés de pratiques au sein d’une large communauté, de promouvoir l'efficacité collective et l’impact social de l’organisation.

Bibliographie

LAVE, J. (1991). Acquisition des savoirs et pratiques de groupe. Acquisition Des Savoirs et Pratiques de Groupe, 23(1), 145–162. https://doi.org/10.7202/001418ar
Le Boterf, G. (2018). Construire les compétences collectives. EYROLLES.
Morin, J.-H., & Moccozet, L. (2021). Build to think, build to learn: What can fabrication and creativity bring to rethink (higher) education? ITM Web of Conferences, 38, 02004. https://doi.org/10.1051/itmconf/20213802004
Payen Jean Baptiste, V. (2022). Apprentissage et développement de compétences dans l’activité médiatisée : cas des communautés de vente et de réparation technologies numériques en Haïti [Université de Genève]. https://doi.org/10.13097/archive-ouverte/unige:165946
Psyché, V., & Tremblay, D.-G. (2011). Étude du processus de participation à une recherche partenariale. SociologieS. https://doi.org/10.4000/sociologies.3681
Wenger, E. (1998). Communities of practice: learning as a social system. Systems Thinker, 2008(Oct 14), 1–10.
Wenger, E. (2009). La théorie des communautés de pratique: Apprentissages, Sens et Identité (2nd ed.). Les Presses de l’Université Laval.